Le monde entier est un théâtre,
et tous, hommes et femmes,
n'en sont que les acteurs.
Comme il vous plaira, Acte II, sc. 7

vendredi 20 novembre 2015

La Tragédie du Korosko

Peuh ! mon ami, vous ne connaissez pas les Anglais ! Vous les regardez fumant la pipe et le visage épanoui, et vous dites : « Ce sont vraiment de braves gens, des gens simples, qui ne feraient pas de mal à une mouche ! » Mais tout le temps ils réfléchissent, ils guettent, ils font des projets. « Voici la faible Égypte, disent-ils. Allons-y ! » Et ils s’abattent sur elle comme une mouette sur une croûte de pain. « Vous n’avez aucun droit sur l’Égypte ! proteste le monde. Allez-vous-en ! » Mais l’Angleterre a déjà commencé à mettre de l’ordre partout, tout comme cette bonne Mlle Adams quand elle envahit la maison d’un Arabe. « Allez-vous-en ! » répète le monde. « Certainement, répond l’Angleterre. Attendez encore une petite minute, pour que j’aie le temps de tout rendre propre et net. » Le monde attend alors pendant un an ou deux, puis il répète à nouveau : « Allez-vous-en ! » Et l’Angleterre réplique : « Patientez une peu, il y a du grabuge à Khartoum, quand la tranquillité sera rétablie, je serai ravie de m’en aller. » Et le monde patiente. Mais le monde, lorsque le grabuge de Khartoum est terminé, insiste pour que l’Angleterre s’en aille. « Comment pourrais-je partir, demande l’Angleterre, quand il y a encore des razzias et des batailles en cours ? Si je m’en allais, l’Égypte serait la proie des sauvages ! » Et le monde s’étonne : « Mais il n’y a pas de razzias ni de batailles ! » Alors l’Angleterre : « Ah ! Il n’y en a pas ? » Et dans la semaine qui suit, ses journaux regorgent de récits sur les raids et les expéditions des derviches. Nous ne sommes pas tous aveugles, monsieur Headingly ! Nous comprenons très bien comment on arrange les choses : quelques Bédouins, un petit bakchich, des cartouches à blanc et, attention, une razzia !

Arthur Conan Doyle
La Tragédie du « Korosko » (1897)

[Toute ressemblance avec des événements ou des individus existant ou ayant existé ne serait pas purement fortuite mais juste la continuation d'une tradition de longue haleine. Une tradition qui, soi dit en passant, n'est plus l'apanage des britanniques.]