Il [Lucifer]
connaît les faiblesses de chacun de nous, nos désirs mesquins ; il connaît
ce qui déclenche notre vanité ou notre cupidité ou notre luxure ou notre
cruauté. Nous n’avons pas de secrets pour lui. Il a réalisé à la main des
tentations pour chacun de nous ; il a parsemé notre chemin de mille façons
de dévier vers les ténèbres. Et une fois qu’il a attiré avec succès notre âme
dans son royaume – une fois qu’il a gagné, à nouveau – pensez-vous que Satan se
contentera de laisser l’âme dans un enfer générique ?
Pensez-y à deux fois, mes amis : pensez-y à deux fois. Celui qui connaît
toutes nos faiblesses connaît aussi nos peurs. Même celles que l’on ne connaît
peut-être pas nous-même. Et pour couronner sa victoire, pour que la souffrance
de ses victimes soit suprême, il
individualisera chaque enfer afin qu’il soit le plus insupportable possible à
son occupant particulier. Et pire que tout, ce sera un enfer qui durera pour
toujours. Toujours. Toujours. Pour
certains, cela signifiera peut-être bien un lac de feu brûlant. Pour d’autres,
cela signifiera peut-être une éternité enfermé dans un cercueil noir, immobile,
sans lumière, sans parole, la folie doublant et redoublant au cours des
lustres. Pour d’autres, cela signifiera peut-être, disons, une suffocation sans
fin. Imaginez ceci un instant, mes amis. Imaginez que vous avez retenu votre
respiration pendant deux, peut-être trois minutes. Imaginez le besoin désespéré
d’oxygène, la torture exquise. Et pourtant en enfer, il n’y a pas de
respiration, pas d’aspiration d’un l’air bon et doux. Il n’y a pas non plus
l’absence d’expression de l’oubli. Il y a seulement ce moment d’agonie ultime,
prolongé pour toujours.
[…]
« D’autres
enfers sont peut-être plus subtils. Imaginez l’individu ayant toujours eu peur
de devenir fou, le devenant au cours de décennies ou même de lents siècles.
Puis recommençant le processus à nouveau. Et à nouveau. Ou imaginez la mère
pleine d’amour, forcée de regarder – encore et encore et encore – comment après
son propre décès son enfant glisse dans la pauvreté et le manque de soins,
l’assuétude aux drogues, la dépression, les mauvais traitements, et la
mort. »
Ici il s’arrêta, et s’avança sur le
bord du rocher.
« Prenez un
moment pour réfléchir au pire enfer que vous puissiez imaginer pour vous-même.
Ensuite réalisez bien que Satan, qui vous connaît encore mieux que vous ne vous
connaissez vous-même, pourrait en fabriquer un bien pire. Ce qu’il fera. Il l’a déjà fait. À l’avance. Parce
qu’il ne dispose que d’un unique baume pour sa douleur aiguë : le
désespoir, les supplications désespérées, les cris et souffrances de ses
victimes. »
Buck fit une nouvelle pause. Il
inspira profondément une fois, deux. Puis, dans une voix encore plus douce, il
continua.
« J’ai dit qu’il existait un enfer pour
chacun de nous. Cet enfer est là, qui nous attend chacun de nous. Satan a fait
en sorte que votre enfer soit extrêmement facile à trouver, avec un chemin
large et confortable menant droit à lui. Il est bien, bien plus facile pour
nous de prendre les choses comme elles viennent, de se balader sans réfléchir
le long de cette avenue étendue et plaisante, bien plus facile que de chercher
l’embranchement ardu, caché, qui mène au paradis. Nous devons combattre
l’attrait du chemin facile. C’est un combat, mes amis ; un combat à mort.
Car c’est la seule manière – la seule
manière – grâce à laquelle on va découvrir la piste exigeante menant au
paradis. Je vous demande de vous en souvenir lors des épreuves que nous allons
devoir affronter. »
Douglas Preston &
Lincoln Child, Brimstone, 2004